La conquête des campagnes par les énergéticiens ne fait que commencer.

En mars 2022, les énergéticiens ont mis un pied de plus dans les fermes. Lors du salon de l’agriculture, TotalEnergies et la FNSEA, syndicat agricole majoritaire, ont signé un partenariat pour « créer des synergies entre le monde agricole et le secteur de l’énergie ».

Les compétences des agriculteurs seront ainsi partagées avec celles de la multinationale, notamment pour développer la méthanisation. Mais l’échange, « gagnant-gagnant » sur le papier, est-il si équilibré ?

La réalité sur le terrain est qu'un Méthaniseur doit être alimenté en permanence.

Accroître la proximité entre ces deux mondes en concurrence comporte des risques, que repère Pascal Grouiez, économiste à l’université Paris Cité : « Les besoins en financement des petits collectifs [d’agriculteurs] supposeraient une plus grande ouverture du capital à des actionnaires non agricoles. Bien que minoritaires, ils pourraient imposer aux agriculteurs l’usage de substrats non agricoles [comme des boues de stations d’épuration], dans lesquelles la présence d’antibiotiques ou métaux lourds peut polluer les sols. »

La méthanisation produit du digestat qui est épandu sur les champs comme engrais. Or, l’innocuité de ce digestat, c’est-à-dire sa capacité à être inoffensif -, demeure un enjeu environnemental et sanitaire encore discuté par les scientifiques. (voir article sur le digestat)

À ces coûts en amont, liés à la matière première, s’ajoutent ceux liés à la maintenance du méthaniseur, voire à l’embauche d’un technicien spécialisé et dédié à cette tâche. La facture pour faire fonctionner un méthaniseur au quotidien, entre l’approvisionnement en déchets et la maintenance, commence à s’allonger lourdement.

Elle est d’autant plus salée pour la méthanisation en injection. Cette technique permet d’injecter le méthane dans le réseau de gaz, mais elle coûte cher. L’investissement moyen pour une installation avoisine 5 millions d’euros.

Pour être rentable, une installation doit consommer au minimum 10 000 à 15 000 tonnes de matières par an. Soit plus de 30 tonnes de déchets par jour à trouver et payer.

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mise à jour mars 2023

Depuis la publication de cette analyse les données ont évoluées

Désormais le minimum pour avoir une certaine rentabilté est 100 Tonnes/Jour !

et dans de nombreux cas l'alimentation du méthaniseur se fait de plus en plus avec des CIVES etc... entrant en concurrence avec l'agriculture alimentaire traditionnelle.

Accroissement également de ce fait du risque de reprise de méthaniseurs par les groupes inustriels transformant de façon légale ! une zone agricole en zone industrielle.

voir l'aricle sur l'exemple dans la Somme avec les pulpes de betterave.

 

 

Le comité contre la Méthanisation à Rosières préfère l'odeur de panneaux photovoltaiques à l'odeur de Méthaniseurs d'autant que pour leur alimentation ils ont besoin du soleil qui ne se transporte ni en Camions ni en Tracteurs.

 

 

 

 

 

Les pulpes de betteraves partent dans les méthaniseurs, l’éleveur de Lignières-Chatelain s’apprête à vider ses hangars

Concurrencé par les méthaniseurs, Hubert Avet, qui engraisse environ 600 bêtes par an, n’a pas été livré en pulpes à l’issue de la campagne betteravière, n’étant pas planteur et donc pas prioritaire. Il se voit contraint de réduire son élevage.

Gros risque, pas franchement inattendu mais désormais bien réel, pour Hubert Avet, éleveur laitier et engraisseur à Lignières-Chatelain, dans le sud de la Somme.

«  Il y a eu moins de rendement dans les betteraves cette année et les pulpes partent dans les méthaniseurs. Et comme je ne suis pas planteur de betteraves, je ne suis pas prioritaire pour obtenir des pulpes. En décembre dernier, mon fournisseur de pulpes m’a annoncé que je ne serai pas fourni. Aujourd’hui, la seule solution que j’ai trouvée, c’est de ne pas remplacer mes animaux au fur et à mesure qu’ils partent à l’abattoir. Et donc, je vais me retrouver avec un bâtiment vide dans quelques mois. Mon activité va s’arrêter jusqu’à ce que je puisse avoir des pulpes. », résume-t-il.

Il nous montre ses trois silos de stockage de pulpes, habituellement pleins au lendemain de la campagne betteravière. Ils sont vides. Puis, il nous emmène dans ses hangars, où 400 taurillons engraissent paisiblement, Charolais, Rouge des Prés, Blonde d’Aquitaine, etc. «  Je les achète à huit mois, je les revends à 18 mois à la coopérative Prénor, une filiale de Bigard. »

 

50 € la tonne

Il nous montre leur ration alimentaire : «  Chaque animal mange 10 kg de maïs fourrager et 10 kg de pulpes surpressées par jour. Je suis autonome pour le maïs, mais je dois acheter 700 tonnes de pulpes par an. Il y a dix ans, les sucreries pleuraient pour que les éleveurs achètent leurs pulpes. Il y a trois ans, je les achetais encore à 25 € la tonne ; l’an dernier, à 32 € car il y avait moins de quantité ; cette année, elles valent environ 50 € la tonne, mais je n’en ai pas car je ne suis pas prioritaire n’étant pas producteur de betteraves. Et ces derniers orientent leurs quantités vers les méthaniseurs. »

 

« Changement de paradigme »

 

Une version parfaitement validée par ledit fournisseur, Bernard Margaron, PDG de Margaron SAS, basé à Roybon (Isère) et leader européen des coproduits et matières premières pour l’alimentation animale. «  Il y a un changement de paradigme. Les pulpes betteravières ne sont plus fléchées vers la filière élevage mais la filière énergie. Les industriels sucriers eux-mêmes préfèrent travailler avec les méthaniseurs plutôt qu’avec les éleveurs. Et dans votre région, la Picardie, où le nombre d’éleveurs a diminué, où le nombre de sucrerie a diminué, il y a une forte augmentation du nombre de méthaniseurs et de leurs capacités. Les méthaniseurs ne traitent plus les effluents de l’élevage mais des cultures intermédiaires à vocation énergétique (dite CIVE, NDLR) ainsi que des cultures dédiées aux méthaniseurs. C’est structurel. En outre, la récolte de betteraves a été mauvaise cette année, avec des quantités faibles  », explique celui qui est également président de Valoria, le syndicat des professionnels de la valorisation en alimentation animale des coproduits de l’industrie agroalimentaire.

Ajoutez à cela la guerre en Ukraine (dont l’une des conséquences est l’arrêt du séchage des pulpes, ce qui remet des quantités sur le marché principalement pour les méthaniseurs), l’interdiction des néonicotinoïdes qui risque encore, l’année prochaine, de provoquer une réduction des emblavements et une baisse des rendements. L’avenir est tout sauf un long fleuve tranquille pour l’éleveur et son fournisseur. Qui l’un et l’autre recherchent des solutions à court et moyen terme : retrouver des quantités sur le marché et mettre en place d’autres systèmes d’alimentation du bétail : maïs, soja, etc.

 

contacté par le journaliste le groupe sucrier Terreos n’a pas répondu à ses questions